Peintre Dessinateur Graveur de grande renommée.

Présentation de Louis Legrand par Félicien Rops dans Le Courrier Français du 29 janvier 1888 p.6
Paris, 25 janvier 1888
Mon cher Monsieur Roques,
Vous me demandez quelques notes biographiques sur mon jeune ami Louis Legrand, prétendument “mon élève”. Que vous dirais-je que vous ne sachiez ? –Que le prévenu s’appelle Louis Legrand, comme l’autre, celui de la place des Victoires ? Les parrains de province aiment à se livrer, sur leurs filleuls sans défense, à ce genre de plaisanterie qui égaie les longues soirées d’hiver. M. Viennet s’appelait bien : Amant-Fidèle-Constant !
–Que Louis Legrand a du talent ? Vos abonnés ont pu le constater.
Il m’est tombé de Dijon, patrie de Jeanniot et un peu de Willette, par une belle matinée d’octobre 1884, avec un paquet de dessins et une lettre de recommandation du très regretté Georges Camuset. Qui n’a pas connu le docteur Camuset, l’un des derniers exemplaires de la Gaieté française ?

Poète le matin, musicien le soir, dessinateur de dix à onze, oculiste de deux à quatre, et auteur de ces inoubliables Sonnets du docteur, que l’éditeur et imprimeur artiste Darantière, de Dijon, va, dans quelques jours, remettre en belle lumière pour l’esbattement des Pantagruélistes et des autres aussi. Georges Camuset avait trouvé là-bas, par hasard, Louis Legrand, frais sorti du collège des Maristes de Givry, ayant passé par une Banque, d’où il s’était échappé au plus vite, ne trouvant pas ces endroits-là honnêtes.
Pour l’heure, il potassait d’après nature, sous la paterne direction du père Rossot, un de ces braves peintreurs d’histoire que le gouvernement paie pour porter la mauvaise parole et perpétuer les plus idiotes traditions au sein des Académies de province, afin que rien ne se perde de la sottise humaine.Malgré ses belles dispositions, Legrand ne ratait jamais d’obtenir la première place au concours de”modèle vivant.” Évidemment dans cette voie, le prix de Rome l’attendait ! Dans le silence des nuits, il travaillait à une forte toile : le Serment des trois Suisses, la même qui plus tard, modifiée dans son essence, est devenue :
le Serrement des trois cuisses!!Je reçus donc de Camuset: Legrand et un paquet de dessins, l’un portant l’autre. J’examinai les deux. Le premier était un grand gars bourguignon, haut en couleur, bien planté sur ses jambes, ayant le parler chanteur du terroir, et des yeux d’une douceur malicieuse qui faisait déjà pressentir le caricaturiste. Quant aux dessins, ils me paraissaient révéler des qualités précieuses et rares, dominées par un extraordinaire amour du modelé. Cet être-là aurait été capable de modeler la tête vitulinaire [sic]de Bouguereau, célèbre comme la plaine Saint-Denis par sa platitude.
Vous concevez que l’idée ne me vint pas d’apprendre quelque chose à ce gaillard-là! par sentiment de mon impuissance d’abord, par respect de l’originalité de mon prochain ensuite. Legrand s’est mis sans aide, comme les canetons vont à la mare, à faire de beaux dessins qui ont attiré l’attention des artistes et des amateurs. Par vous il est entré au Courrier Français où il tient vaillamment sa place dans le rang, à côté de tous ces jeunes de talent et d’avenir qui s’appellent :
Willette, Heidbrinck, Quinsac, Roy, etc., etc., et dont vous êtes l’intrépide capitaine recruteur.
Ainsi, mon cher monsieur Roques, Louis Legrand n’est pas “mon élève”, et je n’en aurai jamais, espérant rester toute ma vie moi-même un “étudiant”. Le vrai, c’est ce que je disais à Delâtre dans son Traité de la gravure à l’eau-forte :
“Par-dessus tout j’ai horreur des professeurs de tout poil et de toute médaille, des doctrinaires, des prédicants, des pontifes à toge et à toque, gens qui d’habitude enseignent ce qu’ils ignorent. Les toges ne servent qu’à cacher sous de longs voiles noirs les hémorroïdes professionnelles et les toques les oreilles d’âne des Institutaires.”
Sur ce, je vous serre bien affectueusement la main.
Félicien ROPS



Employé de banque, Louis Legrand suit les cours du soir à l’école des beaux-arts de Dijon et obtient le prix Devosge en 1883.
En 1884, il s’installe à Paris et s’initie aux techniques de gravure avec Félicien Rops, sa technique préférée étant celle de l’aquatinte. Il reçoit sa première commande d’une série : Les premières illustrées. Dès 1887, il collabore au journal Le Courrier français.
Les dessins qu’il y fait paraître ont le plus souvent pour thème la mort et la déchéance. Poursuivi pour obscénité, il purge une courte peine d’emprisonnement et abandonne ensuite la carrière d’illustrateur satirique. En 1891, il participe au Gil Blas pour illustrer le numéro spécial consacré au Moulin Rouge. Il s’intéresse au monde de la danse, en illustrant notamment un Cours de danse fin de siècle (Paris, E. Dentu, 1892) dont les planches sont imprimées dans l’atelier d’Auguste Delâtre. Il fréquente assidument les salles de répétition et les coulisses de l’école de danseuses ouverte par Nini-Patte-en-l’air rue Frochot.
Avant Henri de Toulouse-Lautrec, il a reproduit au travers de ses œuvres la vie nocturne parisienne de la Belle Époque. La Bretagne fut également une de ses sources d’inspiration. Le musée départemental breton de Quimper conserve plusieurs de ses gravures d’inspiration bretonne.

L’éditeur et collectionneur d’art Gustave Pellet lui édita 300 gravures et lui acheta tous ses pastels. Il grava pour lui également des sujets érotiques.
“Spécialiste attitré de la nudité féminine dans cet hebdomadaire, il récidiva à plusieurs reprises, mais son ami et avocat, Eugène Rodriguès sut brillamment le tirer d’affaire.
S’il fut tout de même décoré de la Légion d’honneur, en 1906, c’est qu’il n’eut pas à effectuer sa détention, car, tout comme son directeur, Jules Roques, il fut amnistié en août 1889. Avant de lui demander d’illustrer Ce Brigand d’amour, Edouard Monnier lui avait déjà commandé, en 1884, des lithographies pour une série intitulée “Les Premières illustrées”.
D’abord installé à Montmartre, ensuite 51, rue le Peletier, puis à la Ferté-Alais, rue de Melun, il s’éteignit à Livry-Gargan le 12 juin 1951.
Dreyfusiste convaincu, il avait signé la pétition en faveur du colonel Picard (cf. Le Radical du 4 décembre 1898).
Extrait : Ce Brigant d’amour de Joseph Gayda
Philippe Autrive
Sources:
https://tybalt.pagesperso-orange.fr/Publications/Ce-Brigand-d-Amour-par-Joseph-Gayda.pdf
Wikipédia
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